Texts I Textes


Écran et écrin

Textures de l’art contemporain

Comme le titre de cette exposition l’indique, il s’agit d’un projet thématique traitant de la persistance du textile comme sujet, matériau, médium ou métaphore dans l’art contemporain, un recours toujours pluriel, fructueux et diversifié fait au textile par des artistes d’origines et de pratiques très différentes. Le projet se déploie en écho ou en contrepoint des collections historiques du Musée de l’HospiceSaint-Roch d’Issoudun, au fil précisément des dix-sept salles de l’ancien hôtel-Dieu de la ville, construit à partir de 1181. L’exposition aurait pu avoir comme sous-titre des notions, entre autres, telles que voiles, tressages, tapis, vêtements, tentures, étoffes, coutures, broderies, linges, fils ou ficelles sans toutefois épuiser la polysémie que le sujet convoque et qu’ évoquent pour partie les oeuvres des dix-huit artistes ici réunis. Le visiteur constatera que la notion de textureest ici traitée au sens propre comme au sens figuré. Il y a alors de pièces en laine ou lin ou en fourrure et des coupons teintés. Mais il y a également d’entrelacs, de robes de soie et de dentelle photographiées, une robe en papeterie,des fils d’acier ou de coton ou de cheveux ou vidéographiques, et un linge en impression digitale 3D.

 

Contexte général et particulier

Le contexte thématique de cette exposition est multiple.

D’une part, il y a le contexte de la collectiondu textile et de parures du Musée de l’Hospice Saint-Roch (collection aussi bien historique, qu’ ecclésiastique et ethnographique),comme les fréquentes expositions du Musée consacrées à la pratique diversifiée de ce matériau.1• D’autre part, l’actualité des grandes expositions, en France comme à l’étranger, permet de déceler la persistance du textile dans le domaine des arts plastiques contemporains,dépassant largement les frontières de l’artisanat et celles, quelque peu restreintes, de ce qui serait communément défini comme l’art textile ou fiber art.2

En particulier, parallèlement à l’expositionTextures de l’art contemporain, dans les salles Océanie se tient au Musée une autre exposition, à caractère ethnographique : Bilum, sacs enficelle et sociétés en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

 

Le parcours

Le parcours des collections historiques du Musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun est linéaire, au fil précisément des dix-sept salles en enfilade de l’ancien hôtel-Dieu. Textures de l’art contemporain y superpose un autre parcours et d’autres histoires, davantage labyrinthiques, comme un fil d’Ariane. Cet autre parcours entrelacé est également une relecture, tantôt pertinente, tantôt impertinente, du texte muséal chronologique et typologique qui est lui même une texture. Il y a pourtant une logique à l’anachronie d’oeuvres contemporaines parmi les collections archéologiques, médiévales ou dix-huitièmistes d’Issoudun, une ville qui puisait commerce et industrie à partir du XVe siècle de l’activité des drapiers et des mégissiers (et dont saint Roch était le patron de la corporation). C’est ainsi une relecture qui tisse et qui trame son propre parcours sous forme de renvois référentiels ou de contradictions formelles. Comme le rappelait Roland Barthes : étymologiquement, « texte » veut dire « tissu ».3

 

Antonio Guzmán

 

1. Cf. entre autres, les expositions et catalogues Art textile international, Lausanne 1960-1990 (2004) et Tapisseries et cartons d’artistes du 20e siècle des collections du Mobilier national (2011)

 

 

 

2. Cf. trois récentes grandes expositions, thématiques et collectives :

 

 

 

Décor & Installations, galerie des Gobelins, Paris, et galerie de Beauvais, 18 octobre 2011 – 15 avril 2012 ; Décorum, tapis et tapisseries d’artistes, Musée d’art moderne, Paris, 11 octobre 2013 – 9 février 2014 ;

Art & textiles, Fabric as Materiel and Concept in Modern Art from Klimt to the Present, Kunstmuseum, Wolfsburg, 12 octobre 2013 – 2 mars 2014 et Staatsgalerie,

 

 

 

Art & textiles, Fabric as Materiel and Concept in Modern Art from Klimt to the Present, Kunstmuseum, Wolfsburg, 12 octobre 2013 – 2 mars 2014 et Staatsgalerie ,Stuttgart, 21 mars 2014 – 22 juin 2014. Cf. également la grande exposition Art & textiles, Fabric as Materiel and Concept in Modern Art from Klimt to the Present, Kunstmuseum, Wolfsburg, 12 octobre 2013 – 2 mars 2014 et Staatsgalerie, Stuttgart, 21 mars 2014 – 22 juin 2014. Cf. également la grande exposition monographique de Franz Erhard Walther, ici représenté, Le corps décide coproduit en 2014/2015 par le Wiels, centre d’art contemporain de Bruxelles, et le CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux Stuttgart, 21 mars 2014 – 22 juin 2014. Cf. également la grande exposition monographique de Franz Erhard Walther, ici représenté, Le corps décide coproduit en 2014/2015 par le Wiels, centre d’art contemporain de Bruxelles, et le CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux.

3. Roland Barthes, « TE XTE, THÉORIE DU », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 30 septembre 2015. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/theorie-du-texte/

 

 


La mécanique du trou

Mansour Abrous

 

La mécanique du trou, la mécanique du seuil « De fil en aiguille », Mustapha Sedjal parcourt l’histoire. « A dessein » toujours, pour la Grande histoire et l’histoire intime, il cale son courroux et débusque sa désapprobation intellectuelle et citoyenne. Peu lui importe les topographies et les plagesd’histoire, la chronologie des faits et la turpitude des préjugés, il a une conviction : il appartient à l’aiguille de faire respirer la mémoire. C’est un artiste ostéopathe des raideurs de la compréhension, des rigidités du récit fondateur. Il plie l’histoire, une envie irrépressible d’essorer son contenu, destin de papier. « C’est plié », dans le jargon jeune, fait référence à l’inéluctable, au sans appel, à restersans voix, être sans recours. Mustapha Sedjal, lui, butine sans relâche dansles images, les récits, les slogans, les essais, dans l’histoire, pour polliniser la mémoire. Un artiste butineur qui contribue à la myéliniser. Il dépose des sucs revigorants dans des alvéoles de papier. Un baume cicatrisantles douleurs, une crème régénératrice de la peau, de « la seconde peau », non pas un lifting de l’histoire, une aiguille de biotox qui momifie davantage la pensée, non, une liposuccion de ses avanies, de ses mensonges et de ses errements. Dans l’histoire officielle, il y a une permanence de la fausse route alimentaire. Elle nourrit l’histoire collective. Elle tétanise les esprits et fait tressaillir notre for intérieur. L’artiste crée le reflexe nauséeux, le haut le cœur, salutaire, où le destin reprend saroute. De ce « chaos bordélique » naît la maison close du souvenir qui suinteet tamise par ces pores le passé pour « l’ivraie » l’avenir. Il n’est pas tourmenté par l’histoire, il lui fait cracher ses tourments. Il ne fausse pas compagnie à son devoir de mémoire.

 

Mansour Abrous

Paris, 2014


The system needs an update

Caroline Hancock

 

Exposition monographique. 2014

Galerie Karima Celestin, Marseille - France

 

La feuille de papier. La page blanche. Vide ? Voilà le sujet et l'objet de cette nouvelle exposition de l'artiste, Mustapha Sedjal. S'agit-il d'en disposer, ou de la remplir ? Ce matériau n'a rien de nouveau dans son œuvre où le dessin et le bateau plié en origami sont des constantes. Néanmoins cette fois, le percement remplace le trait, et le froissement informe prédomine sur toute représentation. 

Des supports en papier sont poinçonnés minutieusement à l'aiguille pour créer diverses séries de dessins en fragments. Le relief est perceptible sur la surface. Comme des piercings ou des scarifications, une peau est marquée. Des mains sont expressives mais muettes, comme frappées de l'amnésie potentielle qui hante Sedjal.

 

La question de la mémoire et de l'histoire, et des dangers de leur effacement, ont toujours été au cœur de son labeur d'artiste. Le suivi des pointillés et le colmatage d'une absence peuvent-ils conduire à la suture ? Ailleurs, une odalisque partage une page avec un tirailleur sénégalais dans un amalgame de clichés inspirés de Peau Noire, Masques Blancs (1952) de Frantz Fanon dont on citera l'extrait signifiant suivant : « Si le Blanc me conteste mon humanité, je lui montrerai, en faisant peser sur sa vie tout mon poids d’homme, que je ne suis pas ce 'Y a bon banania' qu’il persiste à imaginer. »1 

Banania est la marque française de chocolat en poudre dont le packaging et les campagnes publicitaires furent longtemps ancrés dans l'univers colonial. Mustapha Sedjal convoque justement ces persistances et suggère ainsi à quel point il est urgent de revisiter ce « chaos bordélique »2 et de lutter contre les dérives à répétitions3. On pourrait les rapprocher des Collages (2011-2012) de Kader Attia.

 

Le système a besoin d'une mise à jour. The System Needs An Update : ce passage par la langue anglaise dans le titre de l'exposition apparaît comme une possible tactique pour se distancier du poids de l'histoire coloniale de son pays d'origine, l'Algérie. Kateb Yacine décrivait la langue française comme le « butin de guerre » des Algériens.

Mustapha Sedjal se saisit de cette complexité et en souligne les traces. A l'aune des nouvelles élections présidentielles algériennes imminentes, il semble insinuer qu'elles sont une étape parmi d'autres, que les « printemps » sont le début d'un cycle, et que le néocolonialisme n'est que trop présent. Dans sa vidéo Echo datant de 2012, il citait déjà un extrait du film La Bataille d'Alger de 1966 :

 

« Tu sais, Ali, commencer une révolution n'est pas facile, la continuer est plus difficile. La gagner encore plus. Mais ce n'est qu'après notre victoire que commenceront les vrais difficultés. En un mot, il y a encore beaucoup à faire. »

 

En témoignage d'un vécu personnel, Mustapha Sedjal a réalisé le 1 er décembre 2012 la performance "Un Seul Héros, le Peuple... mon père". Inspiré par une photographie des graffitis sur les murs de la ville d'Alger prise par Marc Riboud le 2 juillet 1962, Mustapha Sedjal a rejoué et détourné l'inscription de cette phrase peinte en noir d'ordre révolutionnaire dans le cadre de l’exposition Amnesia à la galerie Karima Célestin (où elle est encore visible à ce jour). 

Dans la nouvelle vidéo à dessein... ! (2014), les plans alternent entre une pile de papiers, le froissement même, la consultation attentionnée d'un cahier qui est vide et sa fermeture abrupte. Ces focalisations sur des actions manuelles performées rappellent les œuvres de Bruce Nauman ou, plus récemment, Jimmy Robert par exemple. Le son capte le travail, la cadence, la détermination, le bruit du papier manipulé. 

 

Mustapha Sedjal parle d'une feuille de route et de déroute. La volonté est mise à l'épreuve d'une abstraction en continu. Quand pourra-t-on s'émanciper de la pensée unique quelle qu'elle soit ? 

 

Caroline Hancock

Février 2014

 

Notes

1. Paris, Les Éditions du Seuil, 1952, p. 206-7.

2. Ce terme fut utilisé par l'artiste dans un entretien avec A. Walid, « L'artiste face au chaos social. Vers une esthétique bordélique », 

La Voix de l'Oranie, 30-31 mai 2001. 

3. Des accrochages comme celui de la salle intitulée « Odalisques modernes » dans Modernités Plurielles (2013) au Centre Pompidou à Paris mériteraient sans doute une interrogation profonde.


Plongée Fanonienne

Saadi-Leray Farid

 

Exposition monographique. 2014

Galerie Karima Celestin, Marseille - France

 

Les années soixante virent se dessiner en Algérie un processus d’appartenance, un mouvement d’identification et de symbolisation débouchant dans le domaine des arts plastiques sur une démarche d’appropriation qui face à la massification des images de la culture impérialiste et de l’idéologie occidentale dominante privilégiait le protectionnisme, voire un repli sur des fondements doctrinaux, sinon dogmatiques. Les avant-corps du "socialisme-spécifique" et d’une culture de résistance affiliée à la "plongée Fanonienne" en oubliaient par là même de déconstruire la mythologie naïve de la réception d’une peinture abstraite censée être d’emblée appréhendée parles Citoyens de Beauté, cela d’une part au nom d’une éthique de communauté, et d’autre part en vertu d’un partage des sentiments, d’une osmose des émotions inhérente à la perspective kantienne.

 

L’approche ouverte depuis octobre 2012 par Mustapha Sedjal est justement de mettre à mal les utopies ou illusions de la société algérienne, d’amorcer un retour sur son Histoire pour décloisonner les postulats du "renouveau dans l’authenticité" et tracer la pluralité des origines, donc d’autres règles du "Je". Après s’être délesté de la rhétorique persuasive concentrée autour du "Peuple-Héros", de la pesanteur des regards et images panthéistes prétendant donner une vision globale et infalsifiable du réel, le voilàen train de croiser les cheminements individuels des icônes militantes et d’entrelacer les parcours de récits intimistes.İl ne s’agit pas chez lui de présentifier un moi perdu, déstructurer et disposer à se fondre dans la totalité maisde positionner des densités d’existence sur l’itinéraire transversal des singularités.

 

Saadi-Leray Farid, sociologue de l’art

Paris, le 01 janvier 2014


" Liberté mon amour "

Le prisonnier politique et son combat

Marie Deparis-yafil

 

Fête de l'Humanité

Parc Départemental Georges Valbon - La Courneuve

12, 13, 14 septembre 2014

 

L’œuvre à la fois forte et délicate présentée ici est un portrait de Frantz Fanon, psychiatre et essayiste français martiniquais, né en 1925 à Fort-de-France. Fortement impliqué dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie, où il vécut et s’engagea auprès du FLN, et dans un combat international dressant une solidarité entre « frères » opprimés, il est l'un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste. Depuis son expérience de noir minoritaire au sein de la société française, il rédige en 1952 Peau noire, masques blancs, dénonciation du racisme et de la « colonisation linguistique ». Frantz Fanon évoquera à de multiples reprises le racisme dont il se sent victime dans les milieux intellectuels parisiens, affirmant ainsi « le sud-américain est pour le nègre un doux pays à côté des cafés de Saint-Germain. » Frantz Fanon est devenu un maître à penser pour de nombreux intellectuels du tiers-monde. Son livre le plus connu, Les Damnés de la terre, publié en 1961, constitue un manifeste pour la lutte anticolonialiste et l'émancipation du tiers-monde. Cet ouvrage et, peut-être plus encore, la préface écrite par Jean-Paul Sartre, ont été perçus rétrospectivement comme fondateurs de la critique tiers-mondiste. Il a inspiré des mouvements de libération en Afrique ou encore le Black Panther Party aux États-Unis.

 

L’intérêt de Mustapha Sedjal, artiste algérien né à Oran, pour Frantz Fanon, ressort à la fois d’une réflexion récurrente le rapport de l'homme face son destin, s’attachant à démontrer les mécanismes de cet « entre-deux » entre Histoire et Mémoire, territoire de tensions et de conflits et d’une volonté de  mise à mal des utopies ou des illusions de la société algérienne. Il s’agit, selon l’analyse de Saadi-Leray Farid, sociologue de l’art, « d’amorcer un retour sur son Histoire pour décloisonner les postulats du "renouveau dans l’authenticité" et tracer la pluralité des origines, donc d’autres règles du "Je". Après s’être délesté de la rhétorique persuasive concentrée autour du "Peuple-Héros", de la pesanteur des regards et images panthéistes prétendant donner une vision globale et infalsifiable du réel, le voilà en train de croiser les cheminements individuels des icônes militantes et d’entrelacer les parcours de récits intimistes. İl ne s’agit pas chez lui de présentifier un moi perdu, déstructurer et disposer à se fondre dans la totalité mais de positionner des densités d’existence sur l’itinéraire transversal des singularités. »

 

Marie Deparis-yafil

Paris, 2014

" Liberté mon amour "

le prisonnier politique et son combat.

Commissariat. Marie De Paris -Yafil

 

Fête de l'Humanité

Parc Départemental Georges Valbon - La Courneuve

12, 13, 14 septembre 2014

 

Au lendemain de la mort de Nelson Mandela, le monde entier salue la mémoire de celui qui est devenu une icône de la liberté et de la paix, une figure emblématique du prisonnier politique, un symbole désormais universel de la lutte contre l’oppression et l’injustice. Il existe encore de par le monde de nombreux pays dans lesquels le « délit d’opinion » ou de croyance mènent à l’emprisonnement, et dans les quels la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et d’association sont réprimées, et ses défenseurs, sujets d’une privation le plussouvent arbitraire de leurs droits les plus élémentaires. L’exposition se donne pourprojet d’évoquer, au travers d’une sélection d’œuvres d’artistes contemporains, la figure du prisonnier politique, qu’il s’agisse de personnalités ayant marqué l’histoire de la liberté ou d’une réflexion sur les enjeux de la détention politique. Certains d’entre eux, comme Nidhal Chamekh, Dalila Dalléas, Sandra Krasker ou Kamel Yahiaoui, puisent dans leur histoire personnelle, intimementliée à l’histoire de leur pays, montrant avec force l’imbrication de l’histoire individuelle et de l’histoire collective. D’autres, comme Gastineau Massamba, Jean-Marc Forax, ou encore, de manière très distanciée et critique, comme Mounir Fatmi, évoquent la trajectoire et le devenir des prisonniers politiques, de leurs combats et des idéologies. Nous avons voulu élargir le propos, notamment en évoquant, avec Estelle Lagarde, Katrin Meller et Ernest Pignon-Ernest, l’univers carcéral, comme une réalité fantomatique pour la plupart d’entre nous, mais bien réelle au corps contraints des prisonniers. Evocation « triviale », mais bien réelle elle aussi, que ce dernier repas du condamné à mort mis en scène par Mat Collishaw. Avec les œuvres de Bruce Clarke, d’Anne Bothuon, de Pascal Colrat, de Mustapha Sedjal, nous avons voulu, dans des angles d’approches différents, rendre hommage à tous ceux qui, jusqu’à leur dernier souffle, résistent, luttent pour que soient défendus les droits des peuples, que cessent les injustices et les oppressions et que ne s’éteignent les mémoires. Pour l’amour de la liberté. Il nous a semblé intéressant d’approcher la manière dont les artistes contemporains, dont beaucoup sont aujourd’hui très directement impliqués dans une expression politique de leur art, au travers des médias les plus divers et dans des angles d’attaques différents, s’emparent de cette réalité toujours actuelle, et parfois largement médiatisée et polémique, qu’est celle du prisonnier politique. Figure de résistance et de liberté dans laquelle l’artiste peut aussi reconnaitre quelque chose de ses propres combats. Parallèlement à l’exposition d’art contemporain, un espace rassemble desimages, livres, œuvres, archives, films, permettant un regard documenté sur l’histoire des prisonniers politiques.

 

Focus sur une œuvre de l'exposition "Liberté mon amour", le prisonnier politique et son combat.

Mustapha SEDJAL "Frantz Fanon", dessin / piercing sur papier Arches, 66 x 102 cm, 2014. Courtesy l’artiste et Galerie Karima Célestin, Marseille.

 

     L’œuvre à la fois forte et délicate présentée ici est un portrait de Frantz Fanon, psychiatre et essayiste français martiniquais, né en 1925 à Fort-de-France. Fortement impliqué dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie, où il vécut et s’engagea auprès du FLN, et dans un combat international dressant une solidarité entre « frères » opprimés, il est l'un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste. Depuis son expérience de noir minoritaire au sein de la société française, il rédige en 1952 "Peau noire, masques blancs", dénonciation du racisme et de la «colonisation linguistique ». Frantz Fanon évoquera à de multiples reprises le racisme dont il se sent victime dans les milieux intellectuels parisiens, affirmant ainsi « le sud-américain est pour le nègre un doux pays à côté descafés de Saint-Germain. » Frantz Fanon est devenu un maître à penser pour de nombreux intellectuels du tiers-monde. Son livre le plus connu, Les Damnés de la terre, publié en 1961, constitue un manifeste pour la lutte anticolonialiste et l'émancipation du tiers-monde. Cet ouvrage et, peut-être plus encore, la préface écrite par Jean-Paul Sartre, ont été perçus rétrospectivement comme fondateurs de la critique tiers-mondiste. Il a inspiré des mouvements delibération en Afrique ou encore le Black Panther Party aux États-Unis. L’intérêt de Mustapha Sedjal, artiste algérien né à Oran, pour Frantz Fanon, ressort à la fois d’une réflexion récurrente le rapport de l'homme face à son destin, s’attachant à démontrer les mécanismes de cet «entre-deux» entre Histoire et Mémoire, territoire de tensions et de conflits et d’une volonté de mise à mal des utopies ou des illusions de la société algérienne. Il s’agit, selon l’analyse de Saadi-Leray Farid, sociologue de l’art, « d’amorcer un retour sur son Histoire pour décloisonner les postulats du "renouveau dans l’authenticité" et tracer la pluralité des origines, donc d’autres règles du "Je". Après s’être délesté de la rhétorique persuasive concentrée autour du "Peuple-Héros", de la pesanteur des regards et images panthéistes prétendant donner une vision globale et infalsifiable du réel, le voilà en train de croiser les cheminements individuels des icônes militantes et d’entrelacer les parcours de récits intimistes. İl ne s’agit pas chez lui de présentifier un moi perdu, déstructurer et disposer à se fondre dans la totalité mais de positionner des densités d’existence sur l’itinéraire transversal des singularités.

Mustapha Sedjal vit et travaille en région parisienne.

 

Exposition centrale de la Fête de l'Huma. Un commissariat de Marie De paris-Yafil

Avec : Anne Bothuon, Nidhal Chamekh, Bruce Clarke, Mat Collishaw, Pascal Colrat, Dalila Dalléas, mounir fatmi, Jean-Marc Forax, Sandra Krasker, Estelle Lagarde, Gastineau Massamba, Kristine Meller, Ernest Pignon-Ernest, Mustapha Sedjal, Kamel Yahiaoui.

Le 12, 13, 14 septembre 2014 - Fête de l'Humanité - Halle Nina Simone - Parc départemental de la Courneuve 93.

En collaboration avec Marc Monsallier et le collectif pour l'exposition centrale de la Fête de l'Huma.

 

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Sémaphore

 

« Les mers se soulèvent et se tranquillisent à son gré ; le ciel s’obscurcit, l’éclair s’allume, le tonnerre gronde, la tempête s’élève, les vaisseaux s’embrasent ; on entend le bruit des flots, les cris de ceux qui périssent ; on voit..., on voit tout ce qui lui plaît » dit Diderot en parlant de Joseph Vernet, (peintre régional du 18 eme siècle). Quelques siècles plus tard nos angoisses, notre appréhension, nos espoirs et nos envies d’aventures restent inchangés face à la mer.Les sémaphores : ces bâtiments côtiers construits à des fins de surveillance maritimes, en sont les témoins silencieux. Lieu d’observation, ils guettent le danger, source d’angoisse et de peur. Centre de coordination du trafic maritime et d’organisation des secours, ils entretiennent l’espérance et sont pourvoyeur de joie ou de malheur selon la nature du dénouement de l’incident. Point de vue exceptionnelle sur l’horizon, ils nous offrent des paysages propices à l’émerveillement et à la plénitude.

Ce premier volet de l’exposition « Sémaphore » conçue en deux parties par Karima Célestin, ne se veut pas thématique mais s’inscrit dans un registre émotionnel, où les artistes participants : Bernard Pourrière, Cari Gonzalez Casanova, Félix Pinquier, Mustapha Sedjal, Toufik Medjamia et Ammar Bouras, questionnent à leurs façon ce rapport de nos sentiments face à la mer. D’une vision poétique que lui inspirent ces bâtiments, Félix Pinquier, en extrait des objets iconiques prompts à la contemplation énigmatique. La représentation mortifère de l’installation de Toufik Medjamia exacerbe le désespoir du spectateur. Les œuvres de Cari Gonzales Casanova s’inspirent du contexte paranoïaque et historique de l’après-guerre pour distiller la peur et l’angoisse. Mustapha Sedjal, met en avant notre sentiment d’impuissance et de fragilité face à notre propre destiné. Bernard Pourrière, quant à lui, nous transmet un malaise oppressant avec son installation sonore. Ammar Bouras évoque par sa vidéo cette mer qui fait tant rêver et qui englouti tant d’espoirs. La deuxième partie de cette exposition sera présentée en mai 2014, et abordera l’aspect des sémaphores en tant que moyens de communication.

 

Karima CELESTIN.

 

Exposition avec : Ammar Bouras | Cari Gonzalez - Casanova | Toufik Medjamia | Félix Pinquier | Bernard Pourrière | Mustapha Sedjal.

Exposition du 17/05 au 20/07/2013.


A nos pères

Marie De Paris -Yafil

 

Galerie 2.13 pm, Paris

Du 1 er Juin au 18 juillet 2013

Un commissariat de Marie De paris -Yafil et Brankica Zilovic, Sur l’invitation de Frédérique Paumier-Moch 

Avec : Dalila Dalléas Bouzar, Nathalie Déposé, Sandrine Elberg, Marcell Esterhazy, Dimitri Fagbohoun, Roland Furhmann, Nandan Ghiya, Soheila Golestani, Bogdan Pavlovic,Milica Rakic, Mustapha Sedjal, Michaela Spiegel, Brankica Zilovic.

 

"A NOS PERES"

« A nos pères»…Sur nos monuments de commémoration, comme aux épitaphes de nos cimetières, l’hommage au père et l’évocation de la mémoire due à nos ascendants affirment notre attachement, culturel, à l’idée de transmission générationnelle, dans l’Histoire, comme dans l’histoire de notre filiation.

« A nos pères»…morts pour la patrie / morts au combat…Dans cette formulation, transparaît immédiatement la dualité d’appartenance : l’homme mort pour sa patrie qu’évoquent les monuments publics de commémoration fut aussipère d’enfants dont il nourrit la mémoire, et son histoire, liée à celle de la nation, constitue en même temps l’histoire familiale et personnelle, l’identitéde ses descendants.

« A nos pères »…pource qu’ils ont vécu et nous ont donné, quelque soit leur histoire. Tous noussommes fils et filles de…

 

C’est à partir de cette idée que nous avons voulu mettre en lumière, au travers de l’œuvre, et souvent de l’histoire personnelle, des artistes que nous avons souhaité convier à participer à cette exposition, l’articulation entre histoire collective et histoire familiale, par le prisme de l’évocation d’une figure, celle du père, qui incarne souvent à la fois le lien à la notion de patrie, de pays, d’identité nationale, d’appartenance à une « terre », et l’histoire personnelle, familiale, l’identité individuelle, la filiation, l’héritage et la transmission.

 

Cette articulation de l’intime et de l’historique, au travers du récit, de la mémoire, de l’hommage, du témoignage, explorée ici dans sa dimension plastique, se glisse dans la double dimension de l’ « objectivité » de l’histoire telle qu’elle est rapportée par les livres et, pour une histoire plus récente, par les médias, et de la subjectivité émotionnelle de l’histoire familiale dans le même temps.

Sans doute l’Histoire est-elle faite d’histoires d’hommes, de femmes, d’enfants, de familles, qui la produisent, en sont le matériau vivant, parfois héroïque, parfois sacrifié, parfois soumis, parfois résistant. Fils et filles de nos pères, les artistes, avec la singularité de leur sensibilité, et nous tous, poursuivons au travers de leur histoire une quête identitaire historique, culturelle, psychologique, construisons une intimité dans laquelle l’Histoire affleure avec ou malgré nous, même dans l’ombre du secret.

Les artistes présents dans « A nos pères » ont ouverts leurs livres intimes, ont enquêté, tenté de reconstituer leurs histoires malgré les manques et les non-dits, reconstruit les liens qui les tiennent à leurs racines, et ont tous des histoires fascinantes, intimes et universelles à la fois, à nous conter.

Avec nos remerciements pour leur précieuse collaboration : Galerie Paris-Beijing, Paris (pour Nandan Ghyia) Laurent Quenehen, Les Salaisons, Romainville.

 

 

"A NOS PERES"

œuvres présentées Vidéo / Performance « Un Seul Héros, le Peuple… mon Père », performance réalisée dans le cadre de l’exposition « Amnésia»

le 1er décembre 2012, à la Galerie Karima CELESTIN, Marseille.

Vidéo, 3 mn, format DVD, 2013

« Un Seul Héros, le peuple... mon Père », Dessin, inscription sur papier d’arche, 65 cm x 50 cm, encadré sous verre, 2013

 

Vidéo / Performance « Un Seul Héros, le Peuple… mon Père »

La vidéo montrée ici témoigne d’une performance en deux actes, réalisée par Mustapha Sedjal le 1er décembre 2012 sur les murs de la galerie Karima Célestin, à Marseille, dans le cadre d’une interférence avec l’exposition « Amnésia ».

 

Acte. I

Inscription du slogan sur le mur. Mustapha Sedjal réactive, 50 ans plus tard, le slogan «UN SEUL HÉROS, LE PEUPLE» inscrit sur les murs d’Alger à la veille de l’indépendance en juillet 1962, sur les murs de la galerie Karima Célestin. Il l’analyse comme « phrase prise et reprise par le nouveau pouvoir en place pour construire cette utopie collective, mobilisatrice, pour arracher la révolution à ses héros et pour l’attribuer au peuple seul héros reconnu, marginalisant ainsi l’individu et sa mémoire. Une devise dans laquelle le peuple algérien devenue une pâte à modeler aux mains du nouveau pouvoir, l’enferme dans le moule de «la pensée unique». L’Algérie demeure otage d’une « Histoire bafouée » et moi, privé d’une part de notre vérité historique. »

 

Acte. II

« D’un trait, je barre le mot « Peuple » pour le remplacer par « mon père ».

 

Avec ce slogan, le système avait confisqué l'indépendance et a justifié la mise à l'écart des vrais « Héros » de la révolution algérienne. Au travers de cet «Acte Plastique», je re-convoque «l'Histoire(s)» à travers mon histoire familiale et je revisite la mémoire individuelle de mon père entre le réel et l’imaginaire. Face au silence et les non-dits de l’histoire officielle, une quête s’imposait devant la perte de « re-père », afin de reconstruire un « territoire / mémoire » ou les paradoxes de nos identités cohabiteront dans l’harmonie et la paix. J’exprime aussi par cet acte plastique, la difficulté d’existence des artistes post-indépendances qui peine à s’extraire du carcan politique définit par la doxa de "l’art pour l’art" » annihilant par la voie de l’exclusion - la non-visibilité - tout pluralisme de la création artistique. »

Complétant cette œuvre avec une proposition nouvelle. Mustapha Sedjal a réalisé spécialement pour l’exposition un dessin, intitulé « Un seul héros, mon père », fragile et épuré.

 

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" UN SEUL HÉROS, LE PEUPLE…  MON PÈRE "

Exposition monographique 2012

Galerie du CCA, Paris - France

 

L’exégèse d’une révolution

Emilie Goudal

 

Né en 1964, à Oran, Mustapha Sedjal est l’un de ces artistes issu de la génération des enfants de l’Indépendance bercés par le récit héroïque et maitrisé du « mythe » fondateur de la révolution algérienne. Formé à l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger et Paris, mais aussi à l’Ecole nationale supérieure des Art décoratifs de la capitale française, Mustapha Sedjal est un artiste de passerelle, de l’entre deux, qui expose depuis la France en Europe et au Maghreb. Aussi, ce n’est qu’à l’occasion du cinquantenaire de la révolution algérienne que le plasticien entame pour la première fois une travail d’introspection au carrefour de l’histoire nationale algérienne et du récit biographique dans une exposition intitulée « Un seul Héros, le peuple… mon père » au Centre culturel algérien de Paris[1].

A travers le regard porté sur cette mémoire dans le rétroviseur de l’Histoire, l’artiste produit une installation articulée autour de cinq pièces qui bien plus que d’éclaircir le passé interroge le présent. Pourquoi aujourd’hui ce passé mêlé de l’histoire de l’Algérie et de la France est-il alors convoqué par la démarche artistique de Mustapha Sedjal ?

Cette interpénétration entre les schèmes de l’Histoire, de la (M) mémoire et de l’imaginaire est au cœur de questionnement proposé par l’artiste. Ces œuvres viennent ici dénoncer le détournement du collectif au détriment de l’expression individuelle… Deux antagonismes qui semble-t-il savamment équilibrés produiraient la justesse d’une narrativité historique non spoliée.

 

De l’histoire collective à la mémoire individuelle

Pour comprendre la genèse de cette exposition, il faut s’attarder quelque peu sur une image matricielle, fil rouge de cette composition. L’artiste était depuis près de deux ans hanté par une photographie inscrite dans l’histoire collective algérienne ; et c’est bien cette photographie des six déclencheurs de l’Indépendance qui semble avoir provoqué cette démarche du plasticien.  Publié pour la première fois en 1958 dans le journal clandestin El-Moujahid, la photographie des « pères » de la révolution, montre les Six chefs du FLN[2] posant dans un studio de photographe à Alger, le 24 octobre 1954, soit à la veille du déclenchement de l’insurrection. Cet épisode historique est en effet relaté en ces termes par Yves Courrière : « Il [« le petit photographe de l’avenue de la Marne » à Bab-El-Oued] vient sans le savoir de réaliser la première photo historique de la guerre d’Algérie. La seule photo que l’on connaisse réunissant les six chefs historiques du FLN 

(…) Ils payèrent et sortirent. Chacun rangea soigneusement la photo dans la poche de son veston. Les six hommes étaient silencieux. Arrivés sur la place du Gouvernement ils se séparèrent en se serrant longuement la main… » [3].

Ainsi, ces « chefs » sont ici réunit physiquement pour la dernière fois, et se présente face à l’objectif vêtus de costume, et pour la plupart de cravate, visant par leur regard un avenir sur lequel ils ne tarderons pas à interagir. Cette image est troublante et interroge son regardeur. A quoi pensent-ils au seuil du déclenchement d’un évènement politique décisif ? Pourquoi immortaliser cette rencontre et pourquoi une telle mise en scène ? C’est en effet le mystère dégagé par cette vision qui heurte encore aujourd’hui Mustapha Sedjal : « Je suis parti de la photo en tant que document (…) Et je me pose toujours la question : pourquoi cette photo fût prise à la veille du déclenchement ? Pour ce faire connaître ? Pour garder une trace pour les générations futures ?... » [4].

L’artiste s’approprie donc cette image résiduelle et la reprend dans une œuvre titrée l’Union Sacrée. Le six visages sont reproduits par le relief d’une lumière éventrant une feuille de papier percée de pointillés qui épousent les contours, cousus de vide, de chacun des portraits, procédé esthétique qui s’inscrit dans la continuité de ses travaux précédents, visible  notamment dans la vidéo De fils en aiguille[5]. Cette lumière diaphane qui perfore ces traits en pointillés suggère à la fois la présence, mais aussi de manière antagonique l’absence de ces figures historiques, dont il est à noter que certaines sont tantôt bannies des livres d’histoire tantôt réhabilitées par le biais de la nouvelle nomination d’une rue d’Alger (comme ce fût notamment le cas de Krim Belkacem). Une reproduction fidèle du banc sur lequel sont assis Krim Belkacem et Larbi Ben M’Hidi est posé face à ces six portraits lumineux encadrés, invitant alors le spectateur à prendre part à la scène, en lui octroyant un espace compris sur l’intersection entre le passé et le présent, invitant à expérimenter l’histoire en tant qu’acteur et témoin.

 

Cette œuvre trouve ainsi une résonnance avec une vidéo attenante intitulée Echo... Cette séquence en noir et blanc opère une synthèse temporelle usant d’une interpénétration des dimensions historique, fictive, mémorielle et cognitive. L’artiste, filmé la nuit dans l’intimité de sa chambre d’hôtel du centre d’Alger en 2011, est percuté par l’écho d’une scène de rencontre entre Larbi Ben-M’Hidi et Ali Lapointe, extraite du film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo. Des hauteurs de cette terrasse, face à cette ville dont l’architecture suffit à évoquer le poids de l’histoire coloniale, le vent semble murmurer la résonance d’un évènement historique retranscrit doublement par la fiction cinématographique et artistique. Mustapha Sedjal se fait alors le témoin (rêveur ?) de cette scène, et mêle ainsi, par un processus de mise en abyme, l’univers fictif et onirique à la véracité du fait historique restitué par l’objectif cinématographique. L’extrait du film choisi illustre le moment où Ali Lapointe pose la nécessité d’une issue politique à l’insurrection armée, et soulève alors un éventail d’interrogation, notamment autour de la frontière mouvante entre lutte armée et terrorisme, la nécessité de la violence comme « déclenchement de l’histoire », l’ambivalence entre solution politique et déclaration de guerre…

Aussi l’évocation du symbole du couffin dans le triptyque photo Moi, les 6 et le couffin, se réfère également à la question du terrorisme. Ces couffins utilisés pendant la guerre pour déposer les bombes du FLN en des lieux stratégiques viennent ici symboliser l’arme de résistance face à la domination coloniale. Cette image de l’arme posé sur le banc du studio photo, contraste avec les deux autres photographies floues montrant l’artiste présentant l’image historique des six chefs et cette photographie du 24 octobre 1954 dont la netteté de la mise au point de l’image semble impossible, métonymie d’une exposition trouble de l’histoire dans le présent.

Que cherche ici à nous révéler Mustapha Sedjal si ce n’est l’individualité de ces hommes d’histoire, au tournant de l’évènement et qui ici accolé à l’image de son père caché derrière le rideau, linceul, noir de l’exposition n’est autre qu’un rappel des individualités, d’anonymes et héros de l’histoire qui composent l’essence même du collectif. Car c’est bien en invoquant un des anonymes, mais néanmoins participant actif de l’histoire en train de se faire, que Mustapha Sedjal tente un retour critique sur les rouages d’une mémoire/histoire collective qu’il définit somme toute comme confisquée.

 

Une parabole de cinquante ans… Bilan d’une indépendance usurpée

Ainsi, l’artiste explique sa démarche en ces termes : «  c’est une parabole qui va de cinquante avant le déclenchement de la guerre algérienne, jusqu’à aujourd’hui[6] ».

 

Dés lors, par le truchement de ces œuvres Mustapha Sedjal applique ce que Maurice Halbwachs définissait comme la puissance d’une mémoire créatrice qui  « ne conserve pas le passé, mais (elle) le reconstruit à l'aide des traces matérielles, des rites, des traditions qu'il a laissés, et aussi à l'aide des données psychologiques et sociales récentes, c'est-à-dire avec le présent. » [7] Lorsqu’il détourne le slogan inscrit sur les murs d’Alger au lendemain de l’indépendance « Un seul Héros, le Peuple », l’artiste dénonce la dimension dogmatique d’une politique forgée sur la dissolution de l’individu dans la pensée unique.  En substituant le peuple par « mon père », anonyme de l’histoire, héros de sa mémoire individuel, Mustapha Sedjal incruste son expérience personnelle sur la lecture, la perception, de la mémoire collective, comme une nécessité d’éclaircissement d’un passé détourné par la politique encerclant la société algérienne dans un « enfermement[8] ». Le plasticien illustre ici parfaitement la thèse du sociologue Farid Saadi qui évoque la difficulté d’existence des artistes post-indépendances qui peine à s’extraire du carcan politique définit par la « doxa de "l’art pour l’art" » [9]  annihilant par la voie de l’exclusion - la non-visibilité - tout pluralisme de la création artistique algérienne. Ce phénomène est également décrit justement par Barkhoum Ferhati : « L’art contemporain, considéré comme un art subversif supposé antinomique aux valeurs révolutionnaires, a longtemps été nié et réprouvé pour ce qu’il suggère à l’encontre des politiques. Seul était admis un art répondant, selon l’expression du feu président Boumediene, « aux aspirations des peuples », aspirations définies depuis l’indépendance par les politiques qui s’y sont succédées » [10]

L’installation Présence – Absence (2012) abonde en ce sens. Cinq toiles blanches perforées affichent une dualité antinomique non sans conséquence. Trois d’entre elles sont disposées horizontalement sur un tréteau et contrastent avec les deux autres cadres mise en exposition sur les cimaises de la galerie et dont la suture à vide révèle les mots « Présence » et « Absence ». Ces derniers dominent les trois autres mots lacérés, à la manière de Fontana :   « Histoire », « Mémoire » et « Imagination ». L’imagination est retournée, et seul le cartel nous indique sa présence. In fine, l’artiste traite ici plus spécifiquement de la difficulté d’existence  créative face à une certaine « overdose de mémoire et d’histoire » oppressantes et maitrisées, impossible à révéler, à l’image du tiroir impossible à ouvrir ou de ce sac plastique spectral suspendu au dessus la métropole algérienne de la vidéo Séquence. II. En ayant ainsi recours à la référence historique de la guerre d’indépendance Mustapha Sedjal se déleste, par la voie de la réappropriation à rebours, d’un héritage historique non dévalué mais appréhendé au miroir du malaise contemporain. Il fait alors état depuis le Centre culturel algérien à Paris d’une spoliation de l’histoire par le système lourde de conséquence. L’émergence de cette nouvelle thématique qui semblerait être de prime abord une parenthèse  dans son œuvre, est en parfaite continuité avec les sujets et formes esthétiques qu’il a déjà développé dans des  travaux ultérieurs, notamment sur la question de l’exil, le phénomène des Harragas… C’est  finalement cette fois-ci au travers de l’histoire nationale que le plasticien interroge la société contemporaine : la France dans son amnésie et l’Algérie dans l’artifice de l’hypermnésie.

Mustapha Sedjal vient alors s’insérer dans la continuité de travaux précédents d’artistes contemporains qui ont également développé d’autres variations autour du thème de la guerre de libération. Éminemment centré autour de la dimension archivistique, comme les vidéos à dimension documentaire de Zineb Sedira qui collecte le témoignage de sa famille ou dévoile les photographies de Mohammed Kouaci par la parole de sa veuve[11], ou des vidéos d’Ammar Bouras tel que Le Serment qui met en parallèle archives de la violence de la guerre d’indépendance et images de l’actualité sanglante des décennies noires. Aussi retrouve-t-on naturellement Mustapha Sedjal au côté des œuvres de Dalila Dalléas Bouzar et Ammar Bouras, dans l’exposition Amnésia[12], où le plasticien a effectué une performance le 1er décembre 2012 en peignant sur les murs de la galerie le slogan revisité d’« Un seul héros le peuple... mon père ». De facto, ces créateurs, qui en broyant ces archives dans le tamis de l’art, extraient alors l’essence d’une histoire qui en dit long sur notre présent.

      

Emilie Goudal

Paris, 2012

 

[1] « Un seul Héros, le Peuple… mon père », exposition [dessin / photographie/ Vidéo / Installation], CCA, Paris du 24 octobre au 24 novembre 2012 [2] Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Larbi Ben M’hidi

[3] Yves Courrière La guerre d’Algérie, 1. Les fils de la Toussaint. Paris: Fayard, 1968, p. 251, 255.

[4] Entretien avec Mustapha Sedjal, novembre 2012, inédit.

[5] De fil en aiguille, vidéo, 2011

[6] Entretien avec Mustapha Sedjal, op.cit.

[7] Maurice Halbwachs [1925], Les cadres sociaux de la mémoire, Bibliothèque de L’Évolution de l’humanité, Paris : Albin Michel, 1994, p. 221.

[8] Entretien avec Mustapha Sedjal, op.cit. ainsi que le texte de l’artiste en date d’octobre 2012.

[9] Voir l’introduction de Farid Saadi du dossier de presse l’exposition, mais également, F. Saadi, « L’auteur de génie et l’artiste créateur en Algérie : modèles importés, renversés, repositionnés puis singularisés »Thèse de doctorat [inédit], Université de Paris VIII, 2011.

[10] Barkahoum Ferhati, « La situation des arts plastiques en Algérie de 1962 à nos jours : entre esthétique universelle et contrôles politiques », in Jocelyne Dakhlia, (dir.), Créations artistiques contemporaines en pays d’Islam. Des arts sous tensions, Paris : éditions Kimé, 2006, p. 323-337, 323.

[11] Citons ici par exemple Retelling Histories… My mother told me (2003) ou Gardiennes d’images (2010).

[12] Exposition  Amnésia, 1er novembre au 23 décembre 2012 à la galerie Karima Celestin, Marseille.


" UN SEUL HÉROS, LE PEUPLE…  MON PÈRE "

Exposition monographique 2012

Galerie du CCA, Paris - France

"SAADI Farid, sociologue de l’art

 

     Principale amorce doctrinale, péremptoire et cathartique de la postindépendance, stigmate impropre au narcissisme, envolée lyrique de la conscience collective, signe d'identification à la communauté des croyants au "socialisme-spécifique", le slogan "UN SEUL HÉROS, LE PEUPLE" inscrit le jour de l’indépendance sur ces réceptacles de l’allocentrisme que furent alors les murs d’Alger La Blanche ou des banderoles de fortune, incarnait l'axiome de l'utopie en marche, mobilisait l'imaginaire social, mettait l'agir de l’Homme nouveau en phase avec la grandeur des humbles, satisfaisait les récalcitrants à la polysémie des cultures régionales, à l’individualisme et, par là même, aux histoires de l’intime. Lestant le citoyen lambda de son vécu et illustrant les vernissages permanents de la compassion révolutionnaire, ce mot d’ordre phare de la décennie soixante confortait les dictats de gardiens du temple rétifs à la transmission patrimoniale, au pluralisme descriptif des valeurs singulières, à la nature multi-ethnique de la société algérienne. Si l’adhésion intégrale à laquelle ils appelleront les années durant désintoxiquait les legs coloniaux, elle fournissait aussi un substitut à la doxa "l'art pour l'art", professait des dispositions généralistes qui déplaçait la pratique picturale non plus sur la personne de l’artiste mais le "Nous militant", la ramenant ainsi sur les rails d'un engagement partisan pour ne pas lui consentir une "sphère intérieure" mais seulement un contrat avec la Masse, laquelle signale justement un ensemble anonyme de sujets, ce Grand public que représentaient la paysannerie et le monde ouvrier ou prolétarien.

Partie intégrante de ce dernier, Abdessalam (le père), a été l’un de ses êtres participatifs que son fils Mustapha SEDJAL remet en temporalité cinquante ans après la Libération puisqu’en remplaçant "LE PEUPLE" par "MON PÈRE", sa pirouette sémantique fait moins un impair qu’un "1-père". Ce sursaut patronymique par lequel le géniteur devient l’autoréférence majeure de l’affirmation du Moi esthétique n’est rien d’autre que le "re-père" généalogique, qu’une invitation à l’autobiographie, qu’une traversée de l’impersonnel au bout de laquelle on entre en relation dialectique avec le registre narratif de l’habitus, avec les battements d’un cœur prononçant non plus le charisme cathartique de l’ "intellectuel collectif" mais bien, et au centre même du séisme public, les fracas des sentiments privés, voire privatifs, rien de moins en fait que la force vivifiante de la filiation et de ses conduites qualifiantes, c’est-à-dire de l’idiosyncrasie.

Stipuler que son Père est un Héros pur, ce n’est pas remettre en selle une inflation rhétorique servant à armer la guerre des esprits, à scander les rites bienfaiteurs de la reconnaissance mutuelle ou encore à prophétiser les vertus iconoclastes de stratégies négationnistes, c’est revenir à l’étant le plus sensible, choisir la visibilité intrinsèque de son univers endocentrique contre l’invisibilité de la forme minimale d’être, c’est aller de la mémoire en mémoires, infiltrer les failles du non-dit pour en ressortir les images et voix d’outre-tombe, les référents symboliques balisant les chemins du savoir où l'identité de chacun se compose dans le meilleur du vivre ensemble.

 

SAADI Farid, sociologue de l’art

Perpignan, le 13 mai 2012


Amnésia

 

Exposition collective : Ammar Bouras | Dalila Dalléas Bouzar | Mustapha Sedjal 

Galerie Karima Celestin, Marseille

Du 1er novembre au 23 décembre 2012 

Interférence / Performance :  le 1 décembre 2012

 

« La mémoire comme province de l’imagination ? »

Par Fanny Gillet

 

En ce cinquantenaire de l’indépendance algérienne, les différentes manifestations commémoratives ont démontré que les enjeux mémoriels sont plus que jamais prégnants entre la France et l’Algérie. L’exposition collective Amnesia organisée par Karima Célestin nous permet d’appréhender ces moments de l’histoire à travers le regard de trois artistes algériens de parcours et de générations différents laissant penser que ni le temps, ni le déplacement par la contrainte de l’exil ou le choix de l’émigration ne semblent atténuer la nécessité detémoigner de ce processus.

Dans une analyse du film Nuit et brouillard du cinéaste Alain Resnais, le critique François Niney se demandait comment rendre compte de la mémoire d’événements douloureux sans tomber dans la surexposition ou le coma, exercice qui se révèlerait périlleux lorsqu’il est soumis à la représentation. C’est ainsi que Dalila Dalléas Bouzar, Ammar Bouras et Mustapha Sedjal tentent de « recharner » l’histoire de l’Algérie à travers cet acte fondateur que fut la guerre de libération, invitant à considérer pleinement l’assertion de Paul Ricoeur : « Imagination et mémoire ont pour trait commun la présence de l’absent ». S’attelant à défaire les noeuds du récit, à en (re)construire le sens par l’image, les trois artistes ont pourpoint commun le recours aux documents d’archives. Cette pratique contemporaine semble s’inscrire dans un besoin, et même peut-être dans une urgence de mémoire. En effet, enconfrontant, en déplaçant ou en associant l’archive à l’oeuvre, les artistes, dans une démarche quasi-ethnographique, déploient un faisceau de questionnements qui traversent l’acte decréation artistique, son rapport à la mémoire, à l’institution, à la visibilité ou encore à latotalité. L’archive, cette « impatience absolue du désir de mémoire » évoquée par Derrida,devient alors cet outil propice à révéler les traces matérielles du passé mais surtout la preuvequ’un présent se fait jour à chaque instant.

 

L’impact de l’image est d’autant plus important lorsque se fixe l’inexplicable. Dans la série de dessins réunie sous le titre Algérie année 0 (2011), Dalila Dalléas Bouzar utilise les archives photographiques comme moyen de faire émerger la mémoire de la guerre d’Algérieet celle de la

« décennie noire ». Selon l’artiste, le titre évoque le commencement, celui du temps du souvenir, de l’être ensemble, car souvenir c’est se construire individuellement et collectivement. Ainsi, les images choisies sont autant d’icônes dont l’artiste reconfigure la sémantique en reproduisant des bribes, des détails, laissant au spectateur le soin d’enrecomposer les lacunes. Ici, le mouvement de la mémoire est double et quasi-synchronique. D’une part, l’artiste fait appel au mécanisme du souvenir du regardeur dans un mouvement de remémoration de l’image-symbole et, d’autre part, c’est la mémoire même de l’événement historique qui resurgit face à cette image. La guerre de libération servirait alors à alimenter et à fabriquer le présent, les deux événements se faisant écho par le truchement de la violence générée mais aussi par la manipulation idéologique dont ils font l’objet. Ainsi, par un effet d’anamnèse, Dalila Dalléas Bouzar révèlerait les failles d’un travail de mémoire non abouti dans la construction de l’imaginaire social, ce devenir ensemble.

 

Dans une volonté analogue d’interroger l’histoire, Ammar Bouras investit le réel de l’image documentaire en se la réappropriant par diverses manipulations dans la vidéo Ez-Zaïm, le roi est mort, vive le roi (2002-2003). Déjà filtrées par le média télévisé, cet artefact historique qu’est l’image informative acquiert un sens nouveau par le détournement, procédé dont l’artiste est coutumier. Se succédant au rythme solennel de la Shahrazade du compositeur Rimski-Korsakov, des mains se détachent peu à peu d’un fond saturé, battant la cadence. Ces mains anonymes qui semblent acclamer ou se tournent en oraison vers le ciel répondent à lagestuelle officielle du président Abdelaziz Bouteflika enlaçant et flattant ses interlocuteurs.

Fonctionnant comme autant de repères, l’artiste choisit d’explorer la mémoire collective des algériens en mobilisant les rituels et les symboles du politique dans lequel, par unretournement ironique, la main renverrait à l’imaginaire qui entoure la khamsa protectrice. Dénonçant les abus d’un système dont les médias se font le relai, l’artiste confronte la figure du chef charismatique (zaïm) à la mémoire du traumatisme non assumé de la

« décennie noire » dans une succession de références à la violence de cette période de terrorisme qui amarqué le pays durant les années 1990 (visage cagoulé du « ninja », fond rouge, son saturé).

 

Avec Un seul héros : le peuple, mon père (2012), Mustapha Sedjal s’attache à démonter le mécanisme de la mémoire instituée, celle qui, comme le montre l’analyse webérienne, sert de fondement à toute prétention à la légitimité du pouvoir. A partir de la photographie des six chefs historiques du FLN à l’origine du déclenchement de la guerre de libération le 1er novembre 1954, l’artiste interroge la portée mythique de l’événement fondateur. Erigée en symbole, l’image sert de point d’appui à une fiction où les éléments personnels viennent étroitement se mêler à l’imaginaire national. C’est en invoquant la mémoire de son père résistant qu’il tente d’humaniser le discours politique officiel qui ne reconnaît comme seul héros de la libération cette entité plurielle : al miliun wa nisf šahid ("le million et demi demartyrs"). En s’appuyant sur une mise en scène qui fait appel à la multiplicité des supports (installation, dessins, peintures, vidéos), Mustapha Sedjal confronte une histoire algérienne comprimée où l’excès commémoratif ne semble plus parvenir à contenir les mécanismes de la mémoire individuelle. Loin de l’aspect revendicatif, l’oeuvre se donnerait alors à voir comme ce point intermédiaire résorbant les tensions entre mémoire individuelle, mémoire collective et mémoire historique. L’émergence de la subjectivité propre à toute création s’élèverait en ce lieu fragile, celui d’une histoire dont la tradition nationaliste a savamment élaboré les ressorts de l’occultation.

 

En Algérie, la guerre de libération et la « décennie noire » sont les deux événements qui ont marqué l’histoire du pays à la fois par le tragique de la violence et par la manipulation mémorielle dont ils ont fait l’objet. Des faits historiques qui ne parviennent pas à être définis, sauf par l’euphémisation (« événements ») voire l’absence (« Guerre sans nom », « guerre invisible »). Evoquant les années de terrorisme, la journaliste et écrivain Salima Ghezali affirme que l’absence de visibilité n’est pas tant problématique que l’absence de tout ce qui peut donner un sens aux images et c’est bien cela qui est en jeu dans le travail des trois artistes réunis par Karima Célestin dans l’exposition Amnesia. Tant durant la guerre d’indépendance algérienne que durant la décennie noire, les images ont constitué un enjeu politique. Si, aujourd’hui, à l’ère de la numérisation, l’image tend à se démultiplier, le risque de l’oubli réapparaît sous la forme de la dilution et de l’indifférenciation devant ce trop plein, mettant en question le sens de la mémoire. Comme le précisait Pierre Bourdieu, « le travail d’anamnèse de l’inconscient historique est l’instrument majeur de maîtrise de l’histoire, donc du présent », l’artiste, ce producteur de sens, permettrait de rendre visible ce processus de rappel nécessaire en évitant l’écueil de la

« tyrannie de la mémoire ».

 

Fanny Gillet

Paris, 2012

 

Fanny Gillet est doctorante au Centre d’histoire sociale de l’Islam méditerranéen (CHSIM) de l’EHESS. Bénéficiaire d’une bourse de recherche pour le programme « Recherches etmondialisation » au sein du Centre Georges Pompidou en 2011, ses travaux portent sur l’analyse de la création plastique dans l’Algérie post-indépendante. Elle a publié « Les artistes algériens pendant la guerre d’Algérie : entre quête de reconnaissance et construction d’un discours esthétique moderne », Textuel, n°63, 2010 et « Pratique artistique et régime de l’image dans l’Algérie post-coloniale : 1962-1965 », Quaderns de la Mediterrània, n°15,2011 (http://www.iemed.org/publicacions/quaderns/15). A venir : « Lieux de résistance, lieux de négociation dans l’Algérie post-indépendante (1962-1988) : pour une pratique de l’espace public », Cahiers du GREMAMO.


Le Grand Sommeil 

Galerie municipale du Rutebeuf. Clichy

Du 22 mars au Dimanche 13 mai 2012 


La mort, de tout temps, occupe une place privilégiée chez les artistes plasticiens. Sous forme de reliques au Moyen-Âge, de tombeaux sculptés à la renaissance italienne, jusqu’aux représentations picturales des romantiques du XIXe siècle. Les vanités elles-mêmes ont traversé les âges pour rappeler au spectateur l’éphémère de la vie, et ce jusqu’aujourd’hui, avec le travail de l’artiste Damien Hirst. 

Les artistes s’approprient ce thème si présent dans toute l’histoire de l’art pour nous en donner une vision personnelle.


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crossing-over. II 

 

Exposition collective avec : Anabelle Soriano, Damien Valero, Félix Pinquier, Mustapha Sedjal et Sami Trabelsi.

Galerie karima Celestin, Marseille - France

Du 23 au 26 Mars 2011

 

L’enjambement d’une frontière réelle ou imaginaire

Pour cette nouvelle exposition hors les murs, Karima Celestin, en tant que commissaire, a choisi d’aborder une question qui lui tient beaucoup à cœur : celle du lien entre les différents média et l’importance du trait en tant que passerelle ou frontière. Avec Anabelle Soriano, Damien Valero, Félix Pinquier, Mustapha Sedjal et Sami Trabelsi, cinq artistes aux approches et aux parcours différents, pour traiter ce sujet chacun à leur manière. Le dessin étant volontairement le medium le plus usité de cette exposition, fait de Crossing Over un événement off du salon du dessin contemporain, singulier et incontournable.


Crossing Over. I 

 

Galerie Karima Celestin - Espace Beaurepaire, Paris

Exposition du 22 au 26 mars 2011

 

Karima Celestin présente l'exposition "Crossing Over" qui se tient du 22 au 26 mars 2011 à l'Espace Beaurepaire.

Pour cette nouvelle exposition, Karima Celestin, galeriste et commissaire, a choisi d’aborder une question qui lui tient beaucoup à coeur : celle du lien entre les différents média et l'importance du trait en tant que passerelle ou frontière.

Crossing Over représente l’enjambement, la traversée, le croisement : le trait dans sa forme symbolique. Ce trait sépare les éléments, les rapproche, les joint, les raie. Il définit les frontières, détermine un caractère.

Autour de ce thème, Karima Celestin a réuni, Anabelle Soriano, Damien Valero, Felix Pinquier, Mustapha Sedjal et Sami Trabelsi, cinq artistes aux parcours différents, abordant ce sujet chacun à leur manière.

Le dessin est aujourd’hui l’un des moyens d’expression les plus utilisés. Il a eu une évolution remarquable, et est passé du statut d’esquisse à celui de création autonome. Tout en se fondant aux autres techniques, il reste le medium le plus usité de cette exposition, faisant de Crossing Over un événement off du Salon du Dessin Contemporain, singulier et incontournable.

Anabelle Soriano "manipule les repères spatiaux" avec autant d'habileté qu’elle passe d'un medium à l'autre (dessin, photographie, sculpture). C’est donc sur cet enjambement qu’elle aborde le sujet Crossing Over. L’espace et sa perception sont au centre de ses réflexions. De plus son expérience en escalade apporte une logique déconcertante à ses oeuvres qu’elles soient inspirées du réel ou de l’imaginaire.

Damien Valero voit la frontière corporelle comme ce qui sépare les êtres humains les uns des autres mais aussi comme ce qui les rapproche, ce qui leur permet un contact. La profondeur et la minutie de son travail sont mises en exergue par la technique utilisée par l'artiste. De plus ils révèlent la peau comme une démarcation vivante et changeante.

Felix Pinquier travaille sur les sens, faisant découvrir au visiteur l'enjambement du son à la sculpture. Pour lui, ce sujet signifiera l’entrecroisement des arts visuels et celui des arts sonores. Crossing Over sera une recombinaison de ces deux manières d’aborder la création, par la vue et par l’ouïe.

Mustapha Sedjal Quant à lui, a choisi de parler à travers son errance artistique, de la difficulté à enjamber : l’incapacité de choisir entre la mort, le renoncement, l’exil ou bien la vie, l’espoir et l’asile. Cette hésitation l’installe dans une quête permanente de «l’entre deux».

Sami Trabelsi présente des lieux de vie épurés de leur population. Sa pratique s’articule autour de la photographie et de la vidéo, tout en restant attentif aux autres média. Pour Crossing Over, il parle de voyage sans retour. L'esthétisme de ses images, associé au message énoncé donne à son travail une force et une dimension contemplative. 


Checkpoint

 

Galerie Espace K, Paris

Du jeudi 7 au dimanche 31 janvier 2010

 

Avec FELIX PINQUIER - MUSTAPHA SEDJAL - ANABELLE SORIANO - NAJAH ZARBOUT

Rétrospective des deux années de la galerie Espace K


Sutures

Exposition monographique 2009

Galerie Espace K. karima celestin

Paris - France

 

OUTRE-TERRE

Azzedine SEDJAL

 

Après Trans-Fusion, Sedjal Mustapha poursuit sa quête et nous renvoie ses visions et son rapport au monde. Avec "Sutures", l’artiste récidive avec son thème favori  l’homme en perpétuelle régénérescence, décliné sous les mêmes formes d’expression :

le dessin, la peinture, la vidéo / Installation. Une variation sur le même thème. Dans cette nouvelle exposition introspective, l’artiste révèle les multiples sutures que subit l’homme dans son environnement. Des sutures qui renvoient au déracinement-ré-enracinement pour une renaissance toujours possible malgré les cassures, les blessures et les plaies. A travers les corps mutilés et les greffes, c’est de la vie qu’il s’agit. La vie sans cesse renaissante malgré les péripéties, les pérégrinations et les chemins tortueux parfois dangereux où des Hommes frôlent la mort à chaque instant comme ces "Harragas", "coupeurs de mers" qui même s’ils échappent parfois à la mort au creux des vagues vivront traumatisés, portant à vie la trace, l’empreinte de cette blessure que leur corps aurait subi. Dans cette plaie qu’est la mer pour la terre, ils subiront le baptême de mort dont certains n’en sortiront jamais. Et comme dans tout Exil, l’exilé, laisse une partie de soi et acquiert une autre part en s’insérant et en s’intégrant à son nouvel environnement. Il se greffe tel l’arbre même s’il perd une partie de ses racines, il s’enracinera à nouveau. C’est cette tourmente de la terre et des corps et des esprits que l’artiste explore. Tourments de corps incorporels, déconstruits, déstabilisants pour la vision mais souffle d’une inspiration intérieure d’une douloureuse expérience.

Ici, l’artiste n’est ni l’origine ni la fin de l’œuvre mais un maillon révélateur d’une absurdité éphémère. Son corps est l’ici et l’ailleurs. L’arbre greffé et les racines de là-bas. Un point de suture possible.

 

Azzedine SEDJAL

Clichy, Le 25 mars 2009

Un pas vers l´inconnu

Hamid Skif

 

Voyage au bout de ce qui fut un rêve, une espérance, un pas vers l´inconnu pensé comme chaleureux et qui m´attend les bras ouverts. Je n´ai laissé aucune trace derrière moi, à peine un souffle, des pensées, quelques unes de mes ombres sur les murs défraîchis sur lesquels ma vie s´est appuyée pour continuer à exister quelque part, en moi peut être seulement. Il ne reste rien, si ce n´est le sentiment que je n´abandonne rien puisque le rien a été ma vie.

 

Parti il y a longtemps, j´ai navigué sur des bateaux de papier, de carton ou des avions auxquels mes rêves donnaient des ailes. Et puis je me suis aperçu que j´avais des pieds, que les pieds ne sont pas des racines, que l´homme n´est pas un arbre, que ses jambes le mènent partout où il peut trouver son bonheur. Celui-là avait pour couleur celles des yeux ou des lèvres que je dessinait en mordillant les miennes, la nuit, couché sur le côté pour les cacher au fond de ma poitrine tels des moineaux tombés du nid, des branches d´étoiles et les creux de lune dont la lumière me couvrait d´une cruelle froidure.

Je n´ai rien aimé, même pas moi-même pour ne pas faiblir, garder les yeux ouverts, aux aguets, scrutant l´horizon, sa ligne de fuite, les mots qu´ils me disait. Ma vie est une impasse si les impasses ont une vie.

J´ai traversé l´Afrique, le Mexique et l´Asie en container, à pied, noyé dans la respiration des autres, englué dans les songes, le dos brisé, la gorge sèche, le courage enveloppé dans de faux papiers.

Je n´ai jamais pleuré car les larmes, il faut aussi les économiser. On m´a arrêté, questionné, trompé, volé, mais j´ai continué à courir le long des rives, sur les dunes, les rochers, coupant à travers les dangers, la haine des regards pour protéger mon dernier souffle et un peu de cette ombre qui me protège. Sur les registres, je n´existe même pas sous forme de virgule, de point, d´interligne. Cette assurance est le sauf conduit qui me mènera au delà de moi-même sur les territoires interdits, offerts aux autres qui m´ouvrent les bras ou me refusent sans rien connaître de moi, des murs sur lesquels se tissent les rêves et les chansons de départ tristes ou joyeuses, toujours tendres. La tendresse, c´est ce qui sauve lorsqu´on n´a rien d´autre à offrir à sa faim.

 

Je veux vivre dans vos yeux, à vos cotés, vous tenir la main et chanter avec vous même si je ne connais aucune des musiques de vos cœurs. Si je devais mourir sur le pas de votre porte, dans votre rue, sur la plage  de vos vacances, je voudrais que vous sachiez que je vous offre mon soleil. Tout le soleil que vous souhaitez. Je vous l´apporte á domicile. J´en ai eu plus que ma part sur les chemins de ce monde coupé en tranches, barbelé de partout où l´homme des murs a pour pays une paire de chaussures trouées.

Un jour elles seront clouées sur une planche, exposées en public, prêtées aux Martiens pour la grande rétrospective terrienne sur la Liberté. 

 

Hamid Skif  

Hambourg, Le 6 Avril 2009


Trans-fusion

 

Exposition monographique 2008

Du 5 avril au 11 mai 2008

Galerie Espace K. karima celestin

Paris - France

 

No man's land

 

Mustapha SEDJAL, pratique le dessin quotidiennement et constitue ainsi une sorte de carnet de bord, en feuilles détachées, des fragments de figures humaines, des histoires de notre quotidien, à raison d'un Halte par feuille. Puis, dans une seconde phase, il procède au tri de ses dessins et compose ensuite des ensembles indissociables que l'on peut qualifier de « fusions plastique »". Une démarche sous forme d'errance en quête d'images originelles, entre expérience personnelle et vision universelle.

 

A l'image de leurs embarcations inadaptées, les bateaux en carton, rappellent les bateaux en papier de l'insouciance et de l'inconscience de l'enfance. L'artiste transfigure la réalité pour en révéler la fragilité, l'inconsistance, la légèreté. Parce que la mer ne peut pas séparer les rêves et les espoirs que des hommes, de tous temps, ont affronté les éléments de la nature en quête de nouvelles terres. Aujourd'hui, à l'heure du village global, ces terres qui ont pour nom générique Occident, espace de la société de consommation, ne sont plus des Terra Incognita.

L'installation vidéo «  no man's land » traite du drame et flux migratoire du sud vers le nord. L'histoire des migrations des hommes s'est toujours faite dans la douleur : L'invasion, l'occupation, la fuite, l'exil... ; tel est le scénario de cette éternelle « Tragédie Humaine ». Cette installation nous plonge dans l'univers de ces « harragas » qui pour atteindre un paradis fantasmé, emprunteront le chemin de l'enfer. Les mouvements migratoires du sud vers le nord, rendent exsangues beaucoup de pays africains. Ces derniers déjà vidés de leurs matières premières, voient leur jeunesse, candidate à l'exil alimentaire, chercher un avenir dans les pays du nord.

 

Que peut l'artiste face aux drames quotidiens des harragas, ces « brûleurs des routes maritimes », qui ne désespèrent pas de rejoindre l'autre rive, l'eldorado rêvé, le lieu de tous les fantasmes et les désirs inassouvis ?

Dire l'indicible du malheur quasi certain qui attend ces jeunes candidats à l'émigration clandestine au creux d'une vague, après une tempête où une soif après une longue insolation.

Dire le dénuement de leurs forces et la fragilité de leurs moyens face à l'adversité de la nature. Dans cette installation, l'artiste cherche, avec des images, des objets, les matériaux qui les composent et leur disposition, à montrer la démesure du défi, de créer un sens et de susciter des sentiments.

 

Anciennes colonies, les terres du Sud ont été conquises par mer et aux indépendances, les colons les ont quittées pour la métropole par bateaux. Des décennies après, la jeunesse désoeuvrée des anciennes colonies, reprend les chemins qui montent au Nord.


VOYAGES D'ARTISTES ­- ALGERIE 03

Djazaïr, une année de l’Algérie en France

Commissaire de l'exposition / Jean-Louis Pradel

 

21 novembre 2003 - 28 mars 2004

Espace EDF Elektra. Paris

 

A l’occasion de Djazaïr, une année de l’Algérie en France, la Fondation EDF, la direction des Affaires culturelles de la Ville de Paris et l’Association française d’action artistique (AFAA) présentent une exposition construite autour du thème de la rencontre. Composée d’œuvres inédites de 23 artistes, cette exposition offre au public un voyage en Algérie à travers les multiples facettes de l’art contemporain.

Commissaire de l'exposition / Jean-Louis Pradel

23 artistes, algériens de cœur ou d’origine, pour une exposition qui se veut un voyage réel ou

imaginaire dans l’Algérie contemporaine. Une création variée qui jette un pont entre deux capitales au

passé commun douloureux, et qui révèle la richesse d’une culture aux racines multiples.

Avec : Ianna Andréadis, Kader Attia, Nadia Benbouta, Samta Benyahia, Ammar Bouras, Philippe Cognée, Electronic Shadow, Ghazel, Rachid Koraïchi, Ange Leccia, Hiroshi Maeda, Tarik Mesli, Daniel Nadaud, Yazid Oulab, Ernest Pignon-Ernest, Bernard Rancillac, Mustafa Sadek Sedjal, Sélim, Saïah, Zineb Sedira, Karim Sergoua, Jacques Villeglé, Kamel Yahiaoui, Hellal Zoubir.

 

 

Algérie, art et dépendances

 

Les  hommes s'en vont admirer les cimes des montagnes

et les flots immenses de la mer et les vastes cours des fleuves

et les circuits de l'océan et les révolutions des astres

et ils se délaissent eux-mêmes.

Les confessions, saint Augustin.

 

     Si proche et si lointaine, l'Algérie, ce Sud qui habite les quartiers nord de nos métropoles, invite au voyage. Non pour changer de monde, mais pour tenter de le retrouver. Non pour renouer avec l'orientalisme ou satisfaire le goût du pittoresque et de l'exotisme, mais pour faire face à la vérité du temps. Après toutes les dates oubliées, portées disparues, refoulées ou glorifiées qui ont rythmé une furieuse histoire commune, l'année de l'Algérie en France permet de reprendre une conversation interrompue ces dix dernières années  par le silence et la peur, alors que s'égrenaient au jour le jour les bilans chiffrés des assassinats de la nuit. Ne filtrait de " ce pays de malheur " qu'une avalanche d'images de massacres et de pleurs, devenues si coutumières que la compassion tournait insensiblement à l'indifférence. A l'ombre du soleil fixe de l'information ne survivait qu'une communication à distance, quasi clandestine, téléphonique et virtuelle, où les paraboles des téléviseurs et Internet creusaient l'écart tandis que les visas se raréfiaient et qu'Air France ne desservait plus Alger.

 

     Alors que cette inexorable dérive des continents déchirait l'entre-deux subtil où, contre vents et marées tissées, s'étaient tissées de part et d'autre de la méditerranée d'inexpugnables complicités, les initiatives de l'Année de l'Algérie en France renouent les fils de l'inextricable maillage. Avec la diversité des points de vue, des médiums et des désirs nomades qu'il suppose et invente, l'art contemporain ne se déploie jamais mieux que dans de tels territoires indéfinis. Aussi devient-il naturellement le lieu de prédilection de ce rendez- vous avec l'Algérie qui, sur le mode de l'hostilité, rappelle opportunément, au lendemain du désastreux 21 avril 2002, ce que l'immigration constitue d'apports et de promesses.

 

     C'est l'aiguille d'une boussole affolée qui s'en trouve tout à coup aimantée. L'irrésistible fascination pour le Sud, largement exclu de la grande foire mondialisée de l'art contemporain, résiste aisément aux jeux aseptisés de la distinction et de la spéculation qui mènent d'un free-shop d'aéroport à l'autre sur fond de tourisme culturel. Un usage jet-set de l'art se satisfait de tels non-lieux climatisés, sécurisés par un système des beaux-arts où sévissent le délit de faciès et l'exclusion.

La proximité chaleureuse et bruyante du Sud, territoire hospitalier, ouvert au premier venu, invite au contraire à une mise en œuvre de l'intime et de ses incertitudes. Dans cet ailleurs comme chez soi, l'autobiographie aussi  bien que les corps à corps tumultueux des affrontements passionnels reprennent des couleurs. A chacun son Sud pour échapper à l'enfermement ethnocentrique, voir égotiste et égoïste, bien adapté aux standards de la consommation mondiale et à l'éternel " présent " trop formaté. " Fuir là-bas, fuir ", c'est tenter l'échappée belle vers le " reste " du monde qui frappe à la porte.

 

     Tête de pont d'un continent systématiquement pillé, delta asséché des fleuves noirs aurifères, comble d'un grenier immémorial mis à feu et à sang par une longue histoire de conquête et d'oppressions féroces, l'Algérie hisse l'urgence d'un autre monde aux avant-postes. Sa jeunesse indocile n'a que faire des avatars de l'art pour l'art, du nouveau à tout prix ou des chimères de l'œuvre d'art totale, ces " transfigurations " de la marchandise qui mettent entre parenthèses l'existence sociale de l'homme. L'impatience de ce ferment d'histoires communes entre l'Algérie et la France ouvre à l'art un champ d'expérience et de mises à l'épreuve inédites pour susciter une zone de turbulences salutaires. L'inconfort de la perception est à la mesure d'un réel inconnu à repérer, tels les amers sur la côte, bien au-delà des identifications attendues. Dans les arts comme dans la littérature, l'urgence est ici de donner la parole à ce et ceux qui ne l'ont pas, de " rendre visible " ce et ceux qui ne le sont pas. Vivre, aujourd'hui, c'est vivre, pour le moins, en " stéréophonie ", comme se plaisent à le dire nombreux Algériens, évoquant à la fois leur bilinguisme et leur double culture de part et d'autre de la Méditerranée. Quand l'expérience personnelle s'inscrit dans la dynamique d'une transmission polyphonique, peut alors se déployer ce qu'on pourrait appeler le " futur antérieur " du projet artistique. Par-delà l'insupportable pression du présent et sa tyrannie du hors-temps, le futur de l'art préfère l'inachèvement au renouvellement incessant et ne craint pas de puiser ses sources dans le passé sans égard pour les références obligées. Dans une telle dynamique expansive qui bouscule les limites du temps et de l'espace, créer c'est faire coexister plusieurs savoirs et plusieurs mondes, sans tenir compte du " rangé, classé ", hiérarchisé par genres, styles ou techniques.

 

     Au cœur de leur escale algérienne, ces Voyageurs d'artistes sont autant d'aventures individuelles où s'éprouve la capacité d'être ému par l'autre. Depuis Homère, le voyage est récit des origines. Porté par la volonté de retour, il est quête de soi-même, à travers les périls, les épreuves, les écrans, les non-dits et le refoulé enseveli avec les morts. Il n'est pas leçon mais action pour défier les mensonges de la bonne conscience comme les compassions feintes de la mauvaise conscience. Au mépris des images sépia de la nostalgie ou de celles, claironnantes, de la sacralisation d'une mémoire collective officielle, hier comme aujourd'hui, la France , pour une large part, s'est faite, et parfois défaite, en Algérie, de même que l'Algérie continue, tout aussi largement, à se construire en France. Ces allers-retours en ordre dispersé offrent le sentiment de vivre quelque chose d'où l' " on voit mieux l'étendue de l'avenir ", comme l'écrit Philippe Jaccottet.

D'œuvre en œuvre comme d'île en île, l'approfondissement de soi entre en résonance avec les objets quotidiens, " dispensés de la corvée d'être utiles ", rejetés sur le rivage dont les sables recueillent les traces et les trajets qui mènent à l'autre, le mystère insensé de l'altérité dans la semblance, pareil à un écheveau de signes ténus menacés d'effacement. D'une histoire à l'autre se croisent les pas de l'inclus et de l'exclu. Entre deux flux et reflux, l'implicite et l'explicite de ce qui est donné à voir et à entendre inversent les rôles et bousculent les critères de territorialité que le nom même de l'Algérie, El Djazaïr, ou " les îles ", remet en question. Pays en archipel que prolonge et disperse le maigre bagage des émigrants aux quatre coins du monde, comme une poussière d'étoiles et de mémoires, l'Algérie habite aussi Paris, depuis toujours havre et foyer d'artistes " sans papiers " ni domiciles fixes. A l'aube du siècle précédent de jeunes étrangers avaient forgé le label triomphant de l'Ecole de Paris, avant que l'occupant et ses complices ne les chassent et que l'idée d'art moderne ne traverse l'Atlantique.

 

     Après tant de rendez-vous manqués avec un autre monde de l'art, cette invitation au voyage revendique moins le Baudelaire qui conduit l'aimée vers ce pays où " tout n'est qu'ordre et beauté / luxe, calme et volupté ", " miroirs profonds " et  " splendeur orientale ", que celui des salons qui prônait une critique d'art " partiale, passionnée etpolitique ". En somme une affaire de discernement, d'excellence et de partis pris où importent les rencontres et l'hospitalité. Parler d'art, aujourd'hui, le montrer, c'est renouer avec un voyage sans commencement ni fin pour tenter de contribuer, selon la formule de Raoul Hausman, à " cet enseignement de contemplation vivante que l'homme se donne pour reconnaître le monde en lui et pour se reconnaître lui-même dans le monde ".  

 

     Au moment où la médiatisation de la planète renverse plus que jamais les catégories du proche et de lointain, l'ancestrale figure obligée du voyages d'artiste s'en trouve métamorphosée. L'odyssée personnelle doit franchir les déserts du nihilisme, les avalanches du presque rien, briser les murs qui, depuis la chute de celui de Berlin, se dressent partout pour " protéger " le Nord du Sud, comme souvent l'art de deux qui ne croient pas en l'art. L'apprentissage initiatique excède toutes les convenances quand la création échappe à l'apartheid des catégories esthétiques et des impératifs commerciaux pour se placer en regard d'un pays bien réel qui, de catastrophes politiques et sociales en catastrophes naturelles, paraît cristalliser la fureur du monde. L'artiste, si longtemps en apnée, reprend pied, reprend souffle. Alors s'invente une communauté inavouable, des réseaux polymorphes, des amitiés exigeantes et conflictuelles. L'art, ivre de " rendre la vie plus belle que l'art ", est à nouveau un faisceau d'énergies et de forces qui travaillent l'histoire. Desserrant l'étau du communautarisme comme celui du corporatisme, l'art, pour reprendre les mots tocsins de Kateb Yacine, serait enfin assez téméraire pour " s'opposer à une société qui tue l'homme dans l'artiste et l'artiste dans l'homme ".

 

     Contre les conventions esthétiques d'une globalisation ne jurant que par le nivellement et le broyage des différences, au gré de l'incessant va-et-vient des exils et des asiles, se fait entendre " une parole en archipel " porté par des hommes aux " semelles de vent ". Venus souvent de loin, mais jamais revenus de tout, ni cyniques de boudoir, ni dandys d'antichambre, les artistes, hommes debout sur une terre chaque jour plus terriblement aplanie, défient les tempêtes de l'histoire de leurs irréductibles singularités.

Partout se vérifie l'hypothèse de la disparition. Depuis longtemps l'art a fait de sa disparition annoncée la matière même de sa raison sociale, de sa présence commercialisée dans un monde soumis aux flux " déceptifs " de la marchandise quand ne devrait compter que le mouvement de la mer…  Cette tentation de la disparition dont s'est saisi l'art contemporain le plus informé et le moins critiqué jouit d'une immunité sans pareille et d'espaces réservés.

Loin du monde, l'impasse de cette voie esthétique se perd dans le brouillard confortable du consensuel " pas vu pas pris ". Symétriquement, l'esthétiquement correct du produit fini, lisse et aseptisé, engoncé dans ses habits du dimanche, se perd parmi tous ses semblables de l'industrie du luxe. L'un et l'autre transposent sur le mode de la coquetterie affectée la disparition bien réelle. Après la Shoah et Hiroshima, la disparition ne cesse de se banaliser et de réduire les consciences au néant. Les catastrophes humanitaires du bout du monde comme en France, quand la canicule de l'été 2003 tue par milliers, sont réduites à l'état gazeux d'une information parmi d'autres, d'une information qui chasse l'autre. Mais la disparition est aussi moyen de répression politico-militaire et l'Algérie en fut le champ d'expérimentation. Arme de destruction massive et feutrée de tous les terrorismes, elle fut mise en œuvre par des éléments de l'armée française lors de guerre d'Algérie.

 

Pour " conclure " la collecte du renseignement à l'aide d'interrogatoires sous la torture, cette méthode fit merveille - aux dires d'officiers sans scrupule - lors de la prétendue " bataille d'Alger ", une sanglante opération de police qui enchaînait rafles, sévices clandestins et disparitions. Ce " savoir-faire ", exporté auprès des tortionnaires du monde entier, à commencer par la junte militaire argentine, avait été mis en pratique à Paris même, du coté de Belleville et, massivement, le 17 octobre 1961, la journée " portée disparue."

 

     Il n'est donc pas surprenant de voir rôder la disparition à travers chacun de ces vingt-trois Voyages d'Artistes qui sont autant de fragments d'un journal de bord. Ici, l'art, comme la philosophie pour Michel Foucault, s'apparenterait à un " journalisme radical ". Non seulement il tiendrait tête, comme l'écrivait André Breton, au " journal du jour ", mais plus encore au journalisme qui " sort " l'information comme le prestidigitateur de café-concert sort un lapin de son chapeau.

 

     L'artiste ressemble à l'écrivain de Maurice Blanchot qui " se trouve dans cette condition de plus en plus comique de n'avoir rien à écrire, de n'avoir aucun moyen de l'écrire et d'être contraint par nécessité extrême de toujours l'écrire ". Partout cette même contrainte intérieure à l'ouvrage quand tout et tous doivent disparaître et qu'il s'agit, pourtant, de donner à voir pour que l'art lui-même ne se taise jamais.

Mis à part le dispositif ironique de Karim Sergoua où le visiteur est convié à se faire tirer le portrait par un appareil Polaroid à résultat " touristique " instantané, rien n'est moins touristique que ces Voyages d'Artistes. Entre médiation et méditation, l'exposition flirte avec la disparition, l'interpelle et la tutoie comme une périphérie sans fin. Par défi à la fatalité de l'équivalence généralisée, chaque dispositif visuel multiplie les centres d'attention tandis qu'étincellent quelques frôlements d'éternité. Loin de s'embarquer dans " l'invincible " armada de l'industrie culturelle, sous catégorie de celle du divertissement, ces Voyages d'Artistes recentrent la mondialisation autour de la Méditerranée. Mare nostrum aux allures de marmite du diable, pivot immémorial du discours homérique bien avant d'être une affaire de club, la Méditerranée demeure le foyer d'eau brûlante des enjeux géopolitiques d'une planète qu'on avait cru pouvoir pacifier en déplaçant son centre de gravité toujours plus loin, par l'improbable passage du Nord-Ouest, vers une nouvelle alliance.

 

     Ce rendez-vous cosmopolite de l'art contemporain avec l'Algérie lui offre un territoire et des références, histoires, vies et illuminations inextricablement entrecroisées, tant il s'agit, toujours et encore, ici et maintenant, de fuir les ailleurs stéréotypés, pour choisir, tout compte fait, le vertige de ce que serait l'illimité de la pensée, dans le sillage de l'objection d'Ernst Bloch : " Le monde n'est pas vrai, mais il cherche, grâce à l'homme et à la vérité, à rejoindre son foyer ", comme Ulysse qui, dit-on, fit un beau voyage…

En convoquant de multiples facettes de l'art contemporain, sans vérifier les passeports des artistes, c'est la complexité vivante d'une image consentie de la multitude qui, avec des allures de lanterne magique, parle ce " langage de décombres où voisinent des soleils et des plâtras ", revendiqué par l'Aragon du Traité du style pour évoquer le nécessaire dépassement de l'art, la traversée des limites comme l'abolition des frontières.

 

Menacée d'un arrêt de mort à l'arme blanche, les villes de Philippe Cognée s'effondrent et s'engloutissent dans la peinture comme dans un désert. Le grand polyptyque de Sélim Saïhi, dont l'horizon se déplace le long des autoroutes et des voies ferrées de l'exil, trouve son point de fuite dans le regard d'Ange Leccia, fixé sur le sillon, à l'arrière du bateau, qui creuse inlassablement une Méditerranée rouge sang. Autre départ, en forme d'images vacillantes, entre beautés et violences, quand Ammar Bouras branche son répondeur aux abonnés absents. Au détour  des allées et venues par plans fixes sur les visages d'une famille partagée entre les Aurès et la banlieue parisienne, Kader Attia, perdu sur la bande FM, laisse voir l'imperceptible tremblement d'un feuillage. Même imprévisible à l'œuvre dans la capillarité des papiers  de Yazid Oulab et dans le silence polyphonique de l'installation de Sedjal Mustapha Sadek. Autant de lumières indicibles en affinité avec le souffle d'ombre portées d'une calligraphie forgée par Rachid Koraïchi ou avec la transparence bleutée des " Polygones étoilés " de Samta Benyahia.

Quand les indications cartographiques échangent leurs informations autour de la sédentarisation précaire du tabouret d'Hellal Zoubir, les repères convenus du " chacun chez soi " s'égarent. Alors commence l'aventure interactive d'Electronic Shadow qui informe l'espace en temps réel d'une volée de prénoms de toutes les couleurs. A leur coté, la porcelaine luminescente des eaux de Daniel Nadeaud trône sur un chariot brinquebalant venu du plus loin de la sécheresse du monde.

 

     Mémoire ravivée par les bribes de l'histoire que Jacques Villeglé arrache à la peau de ces murs où Ernest Pignon-Ernest choisit, lui, de faire revivre le parcours oublié de Maurice Audin. Aux disparitions révélées par les feuilles lumineuses d'Hiroshi Maeda font écho les silhouettes de Kamel Yahioui qui, dévorées par une étoffe de chiffonnier, veillent sur une valise éventrée. L'appel répété au mariage blanc de Ghazel fait face à la dureté résolus d'images récurrentes du pouvoir clouées par Nadia Benbouta sur le papier peint de la respectabilité. Comme autant d'éblouissants flagrants délits, l'implacable peinture de Bernard Rancillac donne un visage aux femmes algériennes torturées, violées, assassinées, tandis que Ianna Andréadis ouvre toutes grandes les fenêtres d'Algérie. Alors qu'au mépris de toutes les censures, Tarik Mesli jette sous nos pas les nouvelles du jour, Zineb Sedira reprend, entre deux langues, la conversation interrompue avec sa mère.

Enumération hâtive animée du souci d'être avec, qu'un regard en passant ne saurait résoudre pour s'emparer de l'exposition où chacun construit à son gré l'aérien " espace du regard ". Une forme habitée par vingt-trois voyages, traversée de complicités insoupçonnées et de confrontations salutaires où, de la présence à l'absence, aucune force sensible ne serait jamais tout à fait perdue. En somme un archipel de passage de visions précisément indécises qui installent le visiteur dans une zone perception perturbée. Entre deux énigmes et deux indices d'un monde émergeant s'efface la rhétorique de l'illustration thématique. N'est ici mise en place que la ponctuation d'un récit qui va vers le sentiment d'une commune appartenance. Comme pour défier le malheur de l'œuvre célibataire, chaque proposition visuelle est une mariée mise à nu, exhibée dans sa singularité vulnérable pour quelque cérémonie sûrement orgiaque dont le visiteur sera finalement le grand ordonnateur. Voyeur affamé ou gourmand des délices d'une véhémence domptée, l'œil aux aguets, animé d'une irrépressible volonté de savoir, mais aussi de juger et de punir, en mal d'évasion précautionneusement circonscrite par le temps et l'espace impartis, il choisit de s'aventurer dans le labyrinthe. 

                                                                                                                                    

Jean-Louis Pradel

Paris, août / septembre 2003